Les pièges cachés des données synthétiques : risques, limites et bonnes pratiques
Découvrez les principaux pièges des données synthétiques et les bonnes pratiques pour les utiliser sans compromettre confidentialité, qualité ni conformité.

Par Éloïse
Les données synthétiques se sont imposées comme un levier majeur pour entraîner des modèles d’intelligence artificielle, tester des systèmes ou partager des jeux de données sensibles sans exposer des individus réels. Derrière cette promesse d’agilité et de confidentialité accrue se cachent pourtant de nombreux pièges qui peuvent dégrader la qualité des analyses, introduire des biais ou même recréer des risques de réidentification. Comprendre ces limites est indispensable pour intégrer les données synthétiques dans une stratégie data sans mettre en péril la conformité, la performance ni la confiance des utilisateurs.
Qu’est-ce qu’une donnée synthétique ?
Une donnée synthétique est une information générée artificiellement par des algorithmes pour imiter la structure statistique d’un jeu de données réel sans en reproduire exactement les lignes d’origine. Ces algorithmes s’appuient sur des techniques de modélisation, de machine learning ou de deep learning pour apprendre les distributions, les corrélations et les patterns du jeu réel, puis créer un nouveau jeu « miroir » censé rester fidèle aux propriétés globales. En pratique, ces données peuvent prendre la forme de tableaux, d’images, de textes, de signaux ou même de séquences temporelles complexes, par exemple dans la santé ou la finance.
L’objectif principal est de disposer de données quasi réalistes pour tester, entraîner ou démontrer des solutions sans exposer directement les données personnelles ou confidentielles. Cette approche est particulièrement attractive dans les environnements très réglementés, où la moindre fuite d’information peut avoir des conséquences juridiques, financières et réputationnelles.
Une promesse séduisante mais trompeuse
Les discours marketing présentent souvent les données synthétiques comme une solution miracle aux problèmes de confidentialité, de pénurie de données ou de biais dans les jeux existants. Cette vision simplifiée laisse croire qu’il suffit de générer un jeu synthétique pour être automatiquement conforme au RGPD, réduire les risques et améliorer la qualité des modèles, ce qui est loin d’être systématiquement vrai.
En réalité, le recours aux données synthétiques introduit une nouvelle couche de complexité technique et méthodologique, avec des hypothèses implicites sur la qualité du modèle générateur et la représentativité des données sources. Utilisées sans compréhension fine de leurs limites, ces données peuvent produire un faux sentiment de sécurité, conduire à des décisions biaisées et affaiblir la valeur métier des projets data.
Piège n°1 : la fausse impression d’anonymat
Le premier piège consiste à considérer les données synthétiques comme anonymes par nature, et donc exemptes de toute contrainte liée à la protection des données personnelles. Or, si le modèle générateur est mal conçu ou si le processus ne tient pas compte des risques de réidentification, il reste possible de retrouver des profils proches d’individus réels via des attaques de corrélation ou de reconstruction.
Des autorités et organismes spécialisés alertent sur le fait qu’un jeu synthétique dérivé de données personnelles demeure, dans certains cas, un traitement de données soumis au cadre réglementaire, dès lors qu’il existe un risque raisonnable d’identifier indirectement une personne. Pour réduire ces risques, il devient nécessaire d’intégrer des méthodes de préservation de la vie privée, comme la confidentialité différentielle ou des contrôles de similarité, ce qui demande une expertise avancée.
Piège n°2 : les biais amplifiés ou masqués
Un autre piège majeur réside dans la gestion des biais présents dans les données d’origine. Si le jeu réel contient des déséquilibres de représentation (par exemple sur le genre, l’âge ou l’origine géographique), le modèle générateur risque de les reproduire, voire de les amplifier lorsqu’il extrapole à partir de ces distributions.
À l’inverse, un générateur trop agressif dans sa volonté de « corriger » des biais peut créer un jeu irréaliste qui gomme des phénomènes importants pour le métier. Cela peut conduire à entraîner des modèles sur des scénarios artificiellement équilibrés qui ne reflètent pas les contraintes, risques ou comportements concrets observés sur le terrain. Dans les deux cas, la confiance dans les analyses produites à partir de données synthétiques se trouve fragilisée.
Piège n°3 : une qualité statistique trompeuse
Un jeu de données synthétiques peut sembler cohérent à première vue tout en présentant des faiblesses statistique importantes. Par exemple, certaines corrélations fines entre variables ou des comportements rares mais critiques peuvent être mal reproduits, car l’algorithme générateur a tendance à privilégier les schémas dominants et les cas fréquents.
Cette perte de granularité est particulièrement problématique dans des domaines où les événements rares, comme les fraudes, les incidents de sécurité ou les pathologies peu fréquentes, ont un poids disproportionné dans la prise de décision. Sans validation rigoureuse, l’illusion d’un jeu « propre » et bien structuré peut masquer un appauvrissement de la réalité, avec à la clé des modèles incapables de détecter les signaux faibles.
Piège n°4 : des cas extrêmes mal représentés
Les générateurs de données synthétiques ont souvent du mal à reproduire correctement les outliers et les scénarios extrêmes, qui sont pourtant essentiels pour tester la robustesse des systèmes. Les algorithmes tendent à lisser les distributions et à ramener les valeurs vers des zones plus fréquentes, ce qui réduit la diversité des situations critiques.
Pour des applications comme la détection de fraude, la cybersécurité ou le monitoring médical, cette sous-représentation des cas extrêmes peut conduire à sous-estimer les risques et à surévaluer la performance en conditions réelles. Les tests basés exclusivement sur des données synthétiques risquent ainsi de manquer des scénarios qui, dans le monde réel, auraient un impact majeur.
Piège n°5 : un coût et une complexité sous-estimés
Générer de bonnes données synthétiques n’est ni trivial ni gratuit. Cela suppose de disposer d’experts en data science, de ressources de calcul importantes, de temps pour entraîner et ajuster les modèles, ainsi que de processus d’évaluation et d’audit.
Dans certains cas, la génération d’un jeu synthétique fiable peut demander autant d’efforts que la préparation d’un jeu réel correctement pseudonymisé et gouverné. Les organisations qui imaginent réduire drastiquement leurs coûts grâce aux données synthétiques se heurtent souvent à des projets plus longs et plus complexes que prévu, avec des rendements variables selon les cas d’usage.
Piège n°6 : une confiance excessive dans des outils « boîte noire »
Beaucoup de solutions de génération de données synthétiques fonctionnent comme des boîtes noires, avec peu de transparence sur les modèles, les paramètres et les mécanismes de préservation de la confidentialité. Cette opacité complique l’évaluation des risques, la compréhension des limites et la capacité à expliquer les résultats aux métiers ou aux régulateurs.
Une confiance aveugle dans ces outils, sans documentation détaillée ni tests indépendants, peut conduire à adopter des jeux de données dont la conformité, la représentativité ou la robustesse ne sont pas démontrées. Dans les organisations soumises à des exigences d’audit ou à des obligations de transparence, cette situation peut devenir un frein majeur à l’utilisation des données synthétiques.
Piège n°7 : ignorer le cadre réglementaire
Un autre piège consiste à considérer que le simple fait de générer un jeu synthétique suffit à sortir du champ des réglementations sur les données personnelles, comme le RGPD. En pratique, le statut juridique de ces jeux dépend de la manière dont ils sont produits, du niveau de risque de réidentification et des informations disponibles dans l’écosystème.
Les autorités et organismes de supervision insistent sur la nécessité d’évaluer formellement ces risques, de documenter les méthodes utilisées pour réduire la probabilité d’identifier une personne, et de ne pas utiliser les données synthétiques comme prétexte pour contourner les obligations de protection des données. Négliger cette dimension peut exposer l’organisation à des sanctions, à des litiges et à une perte de confiance des clients et partenaires.
Bonnes pratiques pour limiter les risques
Pour tirer parti des données synthétiques sans tomber dans leurs pièges, il est essentiel d’adopter une démarche structurée mêlant gouvernance, méthodologie et contrôles techniques. Plutôt que de les considérer comme un substitut universel, il est préférable de les positionner comme un outil complémentaire au sein d’une stratégie data globale.
- Définir des cas d’usage précis : utiliser les données synthétiques uniquement là où elles apportent une valeur claire (tests, prototypage, partage limité, formation), plutôt que de vouloir tout synthétiser par principe.
- Documenter les objectifs et les hypothèses : expliciter ce que le jeu synthétique doit reproduire (distributions globales, corrélations, scénarios rares) et ce qui peut être écarté sans risque métier.
- Impliquer les métiers et les experts data : valider ensemble la pertinence des données générées au regard des besoins opérationnels et réglementaires.
Évaluer la qualité des données synthétiques
Une étape clé consiste à mettre en place des tests systématiques pour vérifier la qualité et l’utilité des jeux synthétiques. Ces tests doivent couvrir à la fois les propriétés statistiques, la performance métier et les risques de confidentialité.
- Comparer les distributions : vérifier que les distributions de variables principales, les corrélations et les relations non linéaires sont suffisamment proches de celles du jeu réel, sans être identiques ligne à ligne.
- Tester les modèles métiers : entraîner ou réentraîner des modèles sur les données synthétiques et mesurer si les performances restent proches de celles obtenues avec les données réelles, notamment sur les cas critiques.
- Analyser les événements rares : vérifier si les scénarios rares mais importants (fraude, incidents, cas critiques) existent encore dans le jeu et sont correctement représentés.
Réduire les risques de réidentification
La réduction des risques de réidentification ne peut pas être laissée au hasard. Elle nécessite une combinaison de techniques de confidentialité, de contrôles d’accès et de bonnes pratiques organisationnelles.
- Appliquer des méthodes de confidentialité avancées : intégrer, lorsque c’est pertinent, des techniques comme la confidentialité différentielle pour limiter la fuite d’information sur chaque individu.
- Limiter les croisements de sources : éviter de combiner un jeu synthétique avec d’autres bases riches en identifiants indirects susceptibles de faciliter la réidentification.
- Mettre en place des politiques d’accès : encadrer la diffusion des jeux synthétiques par des contrats, des chartes d’usage et des contrôles techniques appropriés.
Intégrer les données synthétiques dans une stratégie data responsable
Les données synthétiques ne doivent pas être envisagées isolément, mais inscrites dans une approche globale de gestion responsable des données, incluant qualité, sécurité, éthique et conformité. Elles peuvent contribuer à démocratiser l’accès aux données, faciliter la collaboration et accélérer l’innovation, à condition d’être encadrées et utilisées avec discernement.
Une stratégie responsable consiste à combiner intelligemment données réelles, pseudonymisées, agrégées et synthétiques, en choisissant pour chaque cas d’usage le niveau de réalisme et de protection le plus adapté. Cela suppose de mettre en place des mécanismes de gouvernance, des comités de validation et des critères clairs pour décider quand et comment recourir aux données synthétiques.
Conclusion : exploiter le potentiel sans ignorer les pièges
Les données synthétiques représentent un outil puissant pour répondre à certains défis de la data moderne, notamment la protection de la vie privée, le partage sécurisé d’informations sensibles et la création de jeux d’entraînement à grande échelle. Toutefois, les considérer comme une solution automatique à tous les problèmes de confidentialité ou de qualité reviendrait à ignorer des risques majeurs de biais, de réidentification et de perte de pertinence métier.
Pour exploiter pleinement leur potentiel, les organisations doivent adopter une approche prudente, fondée sur la transparence, l’évaluation rigoureuse et l’articulation avec d’autres techniques de protection des données. C’est à ce prix que les données synthétiques pourront devenir un véritable levier de performance et d’innovation, plutôt qu’un nouveau facteur de vulnérabilité.


