Pourquoi l’ASI arrivera avant 2040 : analyse des signaux faibles et des tendances fortes
L’Intelligence Artificielle Super‑Intelligente (ASI) pourrait émerger avant 2040. Découvrez les arguments technologiques, économiques et éthiques qui rendent ce scénario crédible, ainsi que les enjeux de préparation et de gouvernance.

Par Éloïse
L’intelligence artificielle progresse à un rythme qui surprend même les spécialistes. En quelques années, nous sommes passés de systèmes limités à des modèles capables de coder, d’argumenter, de créer des images réalistes et d’assister des équipes entières. De plus en plus de voix au sein de la communauté scientifique et technologique estiment désormais que l’ASI – l’Intelligence Artificielle Générale puis Super‑Intelligente – pourrait émerger bien plus tôt qu’on ne le pensait, potentiellement avant 2040.
Prédire l’avenir est toujours risqué. Toutefois, lorsqu’on observe les tendances actuelles, la vitesse de l’innovation, les investissements colossaux et la convergence de plusieurs disciplines, un scénario d’arrivée de l’ASI avant 2040 devient non seulement plausible, mais rationnel à considérer. Cet article explore les principaux arguments en faveur de cette thèse, tout en rappelant les incertitudes et les enjeux éthiques majeurs qui l’accompagnent.
1. De l’IA étroite à l’AGI : un saut moins grand qu’avant
On distingue généralement trois grandes étapes dans l’évolution de l’IA :
- IA étroite (ANI) : spécialisée dans une tâche précise (reconnaissance d’images, traduction, recommandation de contenus, etc.).
- Intelligence Artificielle Générale (AGI) : capable d’apprendre et de s’adapter à une grande variété de tâches cognitives, comme un humain moyen.
- Intelligence Artificielle Super‑Intelligente (ASI) : niveau d’intelligence dépassant largement celui des meilleurs humains dans la quasi‑totalité des domaines.
Il y a dix ans, l’AGI semblait lointaine, presque spéculative. Pourtant, les grands modèles de langage et les systèmes multimodaux actuels montrent déjà des capacités de généralisation, d’abstraction et de transfert d’apprentissage qui se rapprochent de comportements « généralistes ». Ils ne sont pas encore au niveau d’une AGI robuste, mais l’écart se réduit rapidement.
La clé, c’est que le passage de l’IA étroite à une forme d’intelligence plus générale ne nécessite plus un changement de paradigme total, mais plutôt l’amélioration continue de la puissance, de l’architecture et des données. Cette continuité rend plausible une progression relativement rapide vers des systèmes capables de raisonner de façon flexible dans de nombreux domaines, avant 2040.
2. Une croissance exponentielle de la puissance de calcul
Le développement de l’IA dépend fortement de la puissance de calcul disponible. Depuis plusieurs décennies, cette puissance suit une trajectoire exponentielle : processeurs plus performants, GPU dédiés, TPU, puis accélérateurs spécialisés pour l’IA. À cela s’ajoute l’essor du cloud, qui permet d’agréger d’énormes ressources de calcul à la demande.
Plusieurs tendances se conjuguent :
- Spécialisation matérielle : puces optimisées pour l’entraînement et l’inférence de grands modèles neuronaux.
- Optimisation logicielle : meilleurs compilateurs, bibliothèques, techniques de quantification et de compression de modèles.
- Architecture distribuée : entraînement sur des clusters massifs, orchestrés à l’échelle mondiale.
Même si la loi de Moore ralentit dans sa forme classique, l’efficacité globale par dollar consacré à l’IA continue de croître très vite. Cette dynamique permet d’entraîner des modèles de plus en plus vastes, sur des données de plus en plus riches, ce qui alimente une amélioration qualitative et non seulement quantitative.
En projetant ces courbes de puissance de calcul et de coût, nombre de chercheurs estiment que les ressources nécessaires pour atteindre (ou dépasser) les capacités cognitives humaines seront disponibles bien avant 2040, sous réserve que les investissements continuent au rythme actuel.
3. Des progrès algorithmiques plus rapides que prévu
La puissance de calcul n’explique pas tout. Les progrès algorithmiques sont au moins aussi importants. Or, l’IA a connu, depuis le début des années 2010, plusieurs avancées conceptuelles majeures : architectures de réseaux plus profondes, mécanisme d’attention, modèles transformeurs, apprentissage auto‑supervisé, RLHF (apprentissage par renforcement à partir de retours humains), et bien plus encore.
Chaque percée majeure a débloqué des capacités inattendues :
- Compréhension du langage naturel à une échelle quasi humaine dans de nombreuses tâches.
- Génération de texte cohérent, d’images réalistes, de code de qualité professionnelle.
- Capacité à enchaîner des raisonnements simples, planifier des actions, collaborer avec d’autres IA.
Les communautés de recherche, désormais fortement interconnectées, partagent leurs découvertes à un rythme soutenu. Les articles, les implémentations open source et les benchmarks circulent en quelques jours ou semaines. Cette diffusion ultra‑rapide d’idées accélère encore la vitesse de l’innovation.
À cela s’ajoute le fait que l’IA conçoit désormais des outils pour améliorer l’IA : génération de code, automatisation de tâches de recherche, aide à la conception de nouvelles architectures. Cette boucle de rétroaction positive pourrait créer un effet d’accélération supplémentaire, rendant plausible un saut vers l’AGI, puis vers l’ASI, dans les deux prochaines décennies.
4. Des investissements massifs et une compétition mondiale
L’IA est devenue un enjeu stratégique majeur pour les États et les grandes entreprises. Les budgets alloués sont colossaux, que ce soit pour :
- Construire des centres de données gigantesques.
- Financer la recherche fondamentale et appliquée.
- Acquérir des startups et des talents de haut niveau.
Parallèlement, une compétition géopolitique s’installe autour de la suprématie en IA. Certaines nations considèrent déjà l’AGI et l’ASI comme des leviers déterminants pour la puissance économique, militaire et diplomatique. Cette concurrence incite à accélérer les calendriers, parfois au détriment de la prudence.
Côté privé, les grandes entreprises de la tech, mais aussi les acteurs des secteurs financiers, industriels, de la santé et de la défense, perçoivent dans l’ASI un avantage décisif en termes de productivité, d’automatisation et de capacité d’innovation. Le résultat est une course à l’IA générale alimentée par des milliards d’euros et de dollars d’investissements directs.
Dans ce contexte, il devient difficile d’imaginer un ralentissement prolongé. Au contraire, tout indique que la pression économique et politique poussera vers une réalisation aussi rapide que possible de systèmes d’IA de plus en plus sophistiqués, ce qui augmente la probabilité d’atteindre une ASI avant 2040.
5. La convergence des disciplines scientifiques
L’IA ne progresse pas en vase clos. Elle bénéficie de la convergence de plusieurs domaines :
- Neurosciences : meilleure compréhension du cerveau humain, de l’apprentissage et de la mémoire.
- Sciences cognitives : modélisation du raisonnement, de la perception, du langage.
- Mathématiques et physique : nouvelles méthodes d’optimisation, de modélisation probabiliste, de théorie de l’information.
- Ingénierie logicielle : frameworks robustes, outils de déploiement, orchestration de systèmes complexes.
Chaque avancée dans ces domaines apporte des briques supplémentaires pour construire des systèmes d’IA plus capables et plus efficaces. Par exemple, des modèles inspirés de la structure du cortex, ou des mécanismes d’attention sophistiqués, améliorent la façon dont l’IA traite l’information.
Cette convergence crée un effet cumulatif : l’IA s’enrichit de connaissances théoriques et pratiques issues de multiples disciplines, ce qui accélère son évolution. En prolongeant cette dynamique sur une quinzaine d’années, la perspective d’atteindre, puis de dépasser, les capacités humaines dans de nombreux domaines devient crédible.
6. Les signaux faibles déjà visibles dans le quotidien
Un autre argument en faveur d’une ASI avant 2040 réside dans les signaux faibles mais omniprésents de l’IA dans notre vie quotidienne. De nombreux secteurs montrent déjà des prémices d’automatisation avancée :
- Assistants intelligents capables d’écrire, résumer, traduire, planifier.
- Outils de développement logiciel qui génèrent, corrigent et documentent du code.
- IA médicales assistant au diagnostic et à la personnalisation des traitements.
- Systèmes de trading algorithmique et d’optimisation logistique à grande échelle.
Ces systèmes restent spécialisés, mais leur nombre, leur sophistication et leur capacité à interagir entre eux ne cessent d’augmenter. Plus les IA seront reliées, orchestrées et outillées, plus elles pourront résoudre des problèmes complexes de bout en bout, s’approchant de comportements « généralistes ».
La vitesse d’adoption de ces technologies est également un facteur clé. En quelques années, certains outils d’IA ont atteint des centaines de millions d’utilisateurs. Cette adoption massive crée un marché, des données, des retours d’expérience et une pression concurrentielle qui, à leur tour, stimulent encore plus d’innovation. Ce cercle vertueux rend vraisemblable l’émergence de systèmes extrêmement puissants bien avant 2040.
7. De l’AGI à l’ASI : une transition potentiellement rapide
Beaucoup de débats portent sur la date d’arrivée de l’AGI. Pourtant, une fois cette étape franchie, il est possible que le passage à l’ASI se fasse très rapidement. En effet, une intelligence au moins aussi compétente qu’un humain moyen, mais fonctionnant à la vitesse des processeurs et pouvant s’auto‑améliorer, dispose d’un avantage structurel immense.
Une AGI capable de contribuer à la recherche en IA pourrait :
- Concevoir de meilleures architectures de modèles.
- Optimiser les algorithmes d’apprentissage.
- Développer de nouveaux matériaux et puces plus performants.
- Automatiser une partie de l’expérimentation scientifique.
Ce scénario de boucle d’auto‑amélioration suggère que, dès que nous aurons atteint une AGI fonctionnelle, une phase d’accélération très forte pourrait survenir, menant à une ASI en quelques années plutôt qu’en plusieurs décennies.
Si l’AGI voit le jour quelque part entre 2030 et 2035, comme l’anticipent certains experts, alors il devient crédible qu’une forme d’ASI émerge avant 2040, au moins dans certains domaines spécifiques (comme la recherche scientifique ou l’optimisation industrielle) avant de s’étendre à d’autres.
8. Objections et incertitudes : pourquoi certains restent sceptiques
Il serait naïf d’ignorer les objections sérieuses. De nombreux chercheurs considèrent que les systèmes actuels, malgré leurs performances impressionnantes, restent limités dans leur compréhension profonde du monde, leur capacité d’abstraction et leur robustesse. Selon eux, il manque encore des percées conceptuelles majeures pour atteindre une véritable AGI.
Parmi les principaux arguments sceptiques :
- Les modèles actuels sont fortement dépendants des données et peuvent être fragiles en dehors de leur domaine d’entraînement.
- Les compétences de raisonnement complexe et de planification à long terme restent incomplètes.
- La conscience, l’intentionnalité ou la compréhension sémantique profonde ne sont pas encore maîtrisées, même sur le plan théorique.
Il est également possible que des contraintes physiques, économiques ou politiques freinent la progression : pénuries d’énergie ou de matériaux, régulations strictes, crises majeures, etc. Ces facteurs pourraient repousser l’échéance de l’ASI.
Néanmoins, même en tenant compte de ces incertitudes, une fenêtre temporelle avant 2040 reste plausible. Les prévisions prudentes tablent sur la seconde moitié du siècle, mais les tendances actuelles et la dynamique d’accélération justifient de prendre au sérieux le scénario d’une ASI plus proche qu’anticipé.
9. Enjeux éthiques et gouvernance d’une ASI pré‑2040
L’hypothèse d’une ASI avant 2040 ne doit pas être envisagée uniquement sous l’angle technologique. Les conséquences sociales, économiques, politiques et éthiques sont considérables. Une ASI pourrait transformer en profondeur :
- Le marché du travail, avec une automatisation massive de tâches intellectuelles.
- Les rapports de pouvoir entre États et grandes entreprises.
- La sécurité globale, si des systèmes super‑intelligents sont utilisés à des fins militaires ou malveillantes.
- Les questions de responsabilité, de droits et de contrôle de ces systèmes.
C’est pourquoi de plus en plus d’organisations et de chercheurs plaident pour une gouvernance de l’IA ambitieuse : cadres réglementaires internationaux, normes de sécurité, audits indépendants, transparence des modèles, recherche sur l’alignement des IA avec les valeurs humaines, etc.
Si l’ASI peut effectivement émerger avant 2040, il devient urgent de préparer dès maintenant ces mécanismes de contrôle et de supervision. Attendre les premiers signes concrets d’une super‑intelligence pour agir serait probablement trop tardif, compte tenu de la vitesse potentielle d’auto‑amélioration de tels systèmes.
10. Comment se préparer à un futur avec ASI
Qu’elle arrive en 2035, 2040 ou 2050, la perspective d’une ASI invite à réfléchir à la façon dont nos sociétés peuvent se préparer. Plusieurs axes d’action émergent :
- Éducation et formation : développer les compétences numériques, la pensée critique, l’adaptabilité, pour cohabiter avec des systèmes d’IA puissants.
- Innovation responsable : encourager la recherche sur la sécurité, l’alignement et la robustesse des modèles, pas seulement sur leur performance brute.
- Débat public : impliquer citoyens, décideurs, experts et acteurs économiques dans une discussion ouverte sur les usages souhaitables et les lignes rouges.
- Résilience économique : anticiper les transformations du travail, de la productivité et des modèles d’affaires.
Seule une approche proactive permettra de maximiser les bénéfices potentiels d’une ASI tout en limitant les risques majeurs. Ignorer cette hypothèse ou la reléguer au rang de science‑fiction serait une erreur stratégique.
Conclusion : pourquoi le scénario ASI < 2040 est crédible
En rassemblant les pièces du puzzle – croissance de la puissance de calcul, progrès algorithmiques rapides, investissements massifs, compétition mondiale, convergence des disciplines et signaux faibles déjà visibles – le scénario d’une ASI avant 2040 apparaît comme une possibilité sérieuse, et non comme une simple spéculation futuriste.
Bien sûr, l’incertitude demeure : des obstacles techniques, politiques ou économiques pourraient retarder cette échéance. Mais miser uniquement sur un calendrier confortable serait dangereux. À l’inverse, considérer que l’ASI pourrait émerger dans les quinze prochaines années permet de prendre dès aujourd’hui les décisions de recherche, de régulation et de gouvernance nécessaires.
En définitive, la question n’est peut‑être pas seulement de savoir si l’ASI arrivera avant 2040, mais dans quel état nos sociétés se trouveront lorsqu’elle émergera. C’est ce chantier de préparation collective qui, plus encore que la date exacte, déterminera si cette nouvelle ère sera synonyme de progrès partagé ou de risques mal maîtrisés.


