L’IA dans les thérapies enfantines : opportunités, limites et enjeux éthiques
Découvrez comment l’intelligence artificielle transforme les thérapies enfantines : types d’outils, bénéfices, limites, enjeux éthiques et conseils pour une utilisation responsable au service du bien-être des enfants.

Par Éloïse
L’intelligence artificielle (IA) s’invite progressivement dans de nombreux domaines, et la santé mentale des enfants n’y échappe pas. Des applications ludiques de suivi émotionnel aux outils d’aide au diagnostic pour les psychologues, les usages de l’IA se multiplient dans les thérapies enfantines. Cette évolution suscite autant d’espoirs que de questions, notamment en matière d’éthique, de protection des données et de qualité de la relation thérapeutique.
Pour les professionnels de l’enfance, les parents et les éducateurs, comprendre le rôle réel de l’IA dans les thérapies devient indispensable. L’objectif n’est pas de remplacer le thérapeute, mais de voir comment ces technologies peuvent enrichir la prise en charge, mieux suivre l’évolution de l’enfant et rendre certains soins plus accessibles, tout en préservant l’humanité au cœur de la relation.
Qu’est-ce que l’IA appliquée aux thérapies enfantines ?
Dans le contexte des thérapies pour enfants, l’intelligence artificielle désigne un ensemble de technologies capables d’analyser des données, de reconnaître des schémas et de proposer des réponses ou des recommandations adaptées. Ces outils peuvent intervenir en complément du travail des psychologues, psychothérapeutes, orthophonistes, pédopsychiatres ou éducateurs spécialisés.
Concrètement, l’IA peut par exemple :
- Analyser les réponses d’un enfant dans des jeux ou questionnaires interactifs pour détecter des signaux d’anxiété, de dépression ou de troubles du spectre autistique.
- Suivre l’évolution du comportement ou des émotions dans le temps grâce à des applications mobiles ou des plateformes en ligne.
- Proposer des exercices personnalisés en fonction du profil de l’enfant et de ses besoins thérapeutiques.
- Aider les thérapeutes à structurer leurs séances, à repérer des tendances ou à documenter plus facilement la progression.
L’IA ne remplace pas la compréhension clinique d’un professionnel, mais elle fournit des informations supplémentaires et des outils qui peuvent rendre la prise en charge plus fine et plus réactive.
Les principaux types d’outils d’IA utilisés avec les enfants
Plusieurs catégories d’outils d’IA commencent à se développer dans le champ des thérapies enfantines. Chacune a des objectifs et des limites spécifiques.
Applications et jeux thérapeutiques interactifs
Des applications ludiques, souvent proposées sur tablette ou smartphone, utilisent l’IA pour adapter les contenus à l’enfant. Elles peuvent proposer des mini-jeux, des histoires interactives ou des exercices de respiration et de relaxation.
- Objectif principal : aider l’enfant à reconnaître, nommer et réguler ses émotions, de manière engageante et adaptée à son âge.
- Atout clé : la gamification, qui renforce l’adhésion, surtout chez les enfants peu enclins à verbaliser en séance classique.
- Rôle de l’IA : ajuster le niveau de difficulté, repérer les émotions déclarées ou exprimées dans les réponses, et personnaliser les contenus recommandés.
Chatbots et compagnons virtuels
Certains outils proposent des agents conversationnels capables de dialoguer avec l’enfant, dans un cadre surveillé par des adultes. Ces chatbots peuvent poser des questions, offrir un soutien émotionnel de base ou rappeler des exercices appris en thérapie.
- Ils sont généralement utilisés comme complément entre les séances, pour maintenir le lien avec les objectifs thérapeutiques.
- Ils peuvent aider l’enfant à exprimer ce qu’il ressent, surtout si celui-ci se sent plus à l’aise à l’écrit qu’à l’oral.
- Leur utilisation doit rester encadrée par un adulte référent (parent ou thérapeute) pour éviter les dérives et les malentendus.
Outils d’aide au diagnostic et au suivi clinique
Pour les professionnels, certaines solutions d’IA analysent des données issues de questionnaires, d’observations cliniques ou de capteurs (par exemple la durée de sommeil, l’activité physique ou les interactions sociales en milieu scolaire).
- Ces outils peuvent mettre en évidence des signaux faibles de troubles anxieux, de TDAH ou de troubles du spectre autistique.
- Ils fournissent des tableaux de bord permettant de suivre l’évolution de l’enfant sur plusieurs semaines ou mois.
- Ils aident le praticien à identifier ce qui fonctionne ou non dans la prise en charge, sans se substituer à son jugement.
Robots sociaux et interfaces physiques
Dans certains contextes de recherche ou de prise en charge spécialisée, des robots sociaux sont utilisés pour interagir avec les enfants, notamment ceux présentant un trouble du spectre autistique. L’IA permet au robot d’adapter ses réactions et ses scénarios d’interaction en fonction des réponses de l’enfant.
- Ils offrent un cadre prévisible et rassurant, utile pour certains profils d’enfants.
- Ils peuvent servir de médiateur entre le thérapeute et l’enfant, en facilitant l’engagement dans les exercices.
Les bénéfices potentiels de l’IA en thérapie enfantine
L’introduction de l’IA dans les thérapies pour enfants n’est pas qu’un phénomène de mode. Bien utilisée, elle peut réellement améliorer la qualité et l’accessibilité des soins.
Personnalisation accrue de la prise en charge
L’un des principaux atouts de l’IA réside dans sa capacité à analyser de grandes quantités de données et à proposer des ajustements personnalisés. Pour les enfants, cela se traduit par :
- Des contenus adaptés à leur âge, à leurs centres d’intérêt et à leur niveau de développement.
- Des exercices ou activités ajustés à leur progression, ni trop faciles ni trop difficiles.
- Une meilleure prise en compte des particularités individuelles (rythme, sensibilité, modes de communication).
Cette personnalisation peut renforcer l’engagement de l’enfant et augmenter l’efficacité de certains protocoles thérapeutiques, notamment dans les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) adaptées aux plus jeunes.
Suivi continu et prévention
Les outils d’IA permettent un suivi plus fréquent que les seules séances en présentiel. Grâce à des applications ou des plateformes connectées, l’enfant peut réaliser des exercices entre les séances, et certaines données peuvent être remontées au thérapeute (avec l’accord des parents).
- Cela aide à repérer plus tôt une aggravation de l’état émotionnel ou l’apparition de nouveaux symptômes.
- Les parents peuvent être mieux guidés au quotidien, avec des recommandations adaptées au contexte réel de vie de l’enfant.
- Dans certains cas, l’IA peut contribuer à une intervention précoce, réduisant le risque de chronicisation des troubles.
Accessibilité renforcée pour certaines familles
Les ressources thérapeutiques pour enfants sont souvent limitées, surtout dans les zones rurales ou dans les régions où les délais d’attente sont longs. Les solutions numériques appuyées par l’IA peuvent :
- Proposer un accompagnement partiel en attendant une prise en charge complète.
- Permettre des séances à distance ou hybrides, réduisant le temps de transport.
- Offrir des outils d’auto-assistance guidée, sous la supervision d’un professionnel, pour les familles qui n’ont pas accès à des services spécialisés réguliers.
Cela ne remplace pas une thérapie en présentiel lorsqu’elle est nécessaire, mais cela peut constituer un soutien précieux dans des parcours de soin souvent complexes.
Les limites et risques à ne pas sous-estimer
Malgré ses avantages, l’IA dans les thérapies enfantines comporte des limites importantes. Ignorer ces aspects pourrait exposer les enfants à des risques psychologiques, éthiques ou de confidentialité.
La qualité de la relation thérapeutique
La thérapie, surtout chez l’enfant, repose en grande partie sur la relation de confiance avec le thérapeute. L’empathie, l’écoute active, le jeu symbolique, la posture du professionnel ne peuvent pas être reproduits par un algorithme.
- Un chatbot ne comprend pas réellement la souffrance de l’enfant, il applique des modèles statistiques.
- Un excès de confiance dans l’outil numérique pourrait réduire la place de la parole et de la rencontre humaine.
- Certains enfants peuvent s’attacher de manière inappropriée à un « compagnon virtuel », ce qui nécessite un cadre clair posé par les adultes.
L’IA doit rester un outil au service de la relation thérapeutique, et non l’inverse.
Précision et biais des algorithmes
Les algorithmes d’IA se basent sur des données existantes. Si ces données sont partielles ou biaisées, les résultats peuvent être injustes ou trompeurs, notamment pour certains profils d’enfants (milieux sociaux variés, contextes culturels différents, neuroatypies).
- Un outil peut sous-estimer la gravité d’un trouble chez certains groupes d’enfants.
- Les recommandations peuvent être inadaptées si l’IA n’a pas été entraînée sur des données suffisamment diversifiées.
- Une confiance aveugle dans les scores ou les rapports générés peut conduire à des erreurs de jugement clinique.
C’est pourquoi l’IA doit toujours être utilisée comme une aide à la décision, et non comme une source de vérité absolue.
Protection des données et vie privée
Les données de santé mentale d’un enfant sont parmi les plus sensibles. L’usage d’applications ou de plateformes d’IA implique la collecte d’informations personnelles, parfois très intimes, sur les émotions, les comportements ou les interactions familiales.
- Les parents doivent être informés de manière transparente sur ce qui est collecté, où les données sont stockées et qui peut y accéder.
- Les outils utilisés doivent respecter les réglementations en vigueur (par exemple le RGPD dans l’Union européenne).
- Les enfants ont aussi droit à une protection renforcée, avec des interfaces adaptées à leur compréhension.
Avant de choisir un outil, il est essentiel de vérifier la politique de confidentialité, la sécurité des données et le sérieux de l’éditeur.
Enjeux éthiques spécifiques à l’enfance
L’utilisation de l’IA dans les thérapies pour enfants soulève des questions éthiques spécifiques, car il s’agit de personnes particulièrement vulnérables. La priorité doit rester l’intérêt supérieur de l’enfant, au-delà des promesses technologiques.
Consentement et information des familles
Les parents ou responsables légaux doivent donner un consentement éclairé à l’utilisation d’outils d’IA dans le cadre thérapeutique. Cela implique :
- D’expliquer clairement le rôle de l’outil, ses bénéfices et ses limites.
- De préciser s’il s’agit d’un complément, d’un outil de suivi ou d’un dispositif expérimental.
- De respecter le droit des familles à refuser ou à interrompre l’usage de ces outils sans pénaliser l’enfant dans sa prise en charge.
Dans la mesure du possible, l’enfant doit lui aussi être informé avec des mots adaptés à son âge, pour qu’il comprenne qui ou quoi l’accompagne.
Rôle et responsabilité des professionnels
Les thérapeutes restent responsables des décisions cliniques, même lorsqu’ils s’appuient sur des outils d’IA. Ils doivent :
- Garder une posture critique vis-à-vis des résultats fournis par les systèmes automatisés.
- Évaluer la pertinence de ces outils au cas par cas, en fonction du profil de l’enfant.
- Se former aux bases de fonctionnement de l’IA pour mieux en comprendre les possibilités et les limites.
L’éthique professionnelle impose de ne pas déléguer à la machine la responsabilité de décisions ayant un impact majeur sur la vie de l’enfant ou de sa famille.
Comment intégrer l’IA de manière responsable dans les thérapies enfantines ?
Plutôt que de rejeter ou de sacraliser l’IA, l’enjeu est de l’intégrer de façon réfléchie et encadrée, en gardant l’enfant au centre du dispositif.
Pour les parents
- Échanger avec le thérapeute de l’enfant avant d’introduire une application ou un outil d’IA dans le parcours de soin.
- Privilégier les outils recommandés par des professionnels de santé ou des institutions reconnues.
- Accompagner l’enfant dans l’usage de ces outils, en discutant avec lui de ce qu’il ressent, aime ou n’aime pas.
- Rester attentif aux signes de dépendance ou d’angoisse liés à l’outil, et ne pas hésiter à le mettre de côté si nécessaire.
Pour les thérapeutes et institutions
- Évaluer rigoureusement les outils avant de les intégrer dans une pratique clinique.
- Commencer par des usages ciblés et complémentaires, par exemple pour le suivi entre les séances ou la psychoéducation.
- Informer clairement enfants et parents du cadre d’utilisation, des limites et des règles de confidentialité.
- Documenter les effets observés, positifs comme négatifs, pour ajuster les pratiques.
Une intégration progressive et réfléchie permet de tirer parti des atouts de l’IA tout en limitant les risques.
Perspectives d’avenir : vers une IA plus humaine ?
Le domaine de l’IA appliquée aux thérapies enfantines est encore jeune, mais il évolue rapidement. Les recherches se concentrent sur des systèmes plus transparents, plus explicables et mieux adaptés aux besoins spécifiques des enfants.
On peut envisager, dans les prochaines années :
- Des outils capables de mieux prendre en compte la diversité des profils d’enfants et des contextes de vie.
- Des interfaces plus respectueuses du rythme de l’enfant, favorisant l’autonomie et la créativité plutôt que la performance.
- Des collaborations plus étroites entre développeurs, cliniciens, chercheurs, parents et enfants pour co-construire ces solutions.
L’enjeu n’est pas de rendre l’IA « émotionnelle » au sens humain du terme, mais de concevoir des outils qui respectent profondément la singularité de chaque enfant, tout en offrant un soutien utile aux professionnels et aux familles.
Conclusion : l’IA, un outil, pas une solution miracle
L’intelligence artificielle dans les thérapies enfantines ouvre des perspectives intéressantes en matière de personnalisation, de suivi et d’accessibilité des soins. Cependant, elle ne peut en aucun cas se substituer au lien humain, à l’écoute et à la compétence clinique, qui restent le cœur de toute démarche thérapeutique.
Pour tirer le meilleur parti de ces technologies, il est essentiel de les aborder avec lucidité : en reconnaissant leurs bénéfices potentiels, mais aussi en restant vigilants sur les questions de confidentialité, de biais et de respect de l’enfant. Utilisée de manière encadrée et éthique, l’IA peut devenir un allié précieux au service du bien-être et du développement des plus jeunes.


